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ANAHITA

spectacle d'Ariana Vafadari

texte dit par Fanny Ardant

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I-
Devant la montagne muette, une femme se tient debout.

« Là était la rivière » dit-elle devant le roulis immobile des pierres.

« L’eau y était plus claire et plus profonde que notre soif... Son chant fertile résonnait jusqu’au village. C’était joie de l’entendre murmurer des promesses que la terre savait tenir... »

La femme esquisse un sourire, triste.

« Là était l’arbre, la douceur de son ombre. Autour, le champ riait de cette caresse et son rire avait le goût des fruits mûrs, l’odeur du pain que l’on va rompre. Vivre était une fête, une danse à chaque saison qui se répèterait toujours. Au printemps, couraient les enfants, leurs cris dans les venelles, leurs coeurs dans les bourgeons. L’été, les hommes apprenaient aux troupeaux les chemins de la liberté, les femmes s’habillaient de soleil. L’automne était beau comme un retour. Dans les flammes de l’hiver, les yeux des vieilles et leur secret sans âge brillaient comme de l’or. Les hommes regardaient silencieux la braise rouge avant la nuit.

Aujourd’hui, le vent aux lèvres sèches siffle entre les murs abandonnés des maisons. Le sable a détourné les ruelles qui ne mènent plus nulle part, l’écho d’une langue ancienne s’est perdu dans ces ruines.

Et mon ventre est pareil à cette terre dit-elle avant de partir.

La femme marche.

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​II

Par-delà les pierres, dans le nœud des chemins, elle marche.

Après le sable, après d’autres montagnes, là où les lieux n’ont plus de nom, elle marche encore. Mais partout le vent l’a précédée, effaçant le reflet des lacs, défaisant le lit des rivières, laissant les mirages déguiser l’horizon. Partout, c’est la même ligne raide où elle avance, la même étendue sèche qu’elle découvre, la même blessure qui s’ouvre, qui souffre à chaque pas. Alors la femme tombe ou plutôt elle s’effondre là, sur cette terre meurtrie.

Et sans qu’elle sache d’où ils sourdent, de quel amas de pierres au creux de son corps ils jaillissent, des mots tremblent sur ses lèvres. Elle les entend sans les prononcer, elle les sait sans les avoir appris, elle les comprend avant même de les dire. Ce sont ceux d’une autre voix qui en elle chante depuis si longtemps, depuis toujours peut- être. L’aïeule d’une aïeule, une femme qui prend voix dans sa voix. C’est l’écho d’une prière tue qu’elle reprend, une mélopée sans début ni fin qui se répète et peu à peu l’entête, la met debout, l’étreint. En elle, c’est Anahita, ce nom effacé, qui se lève. Avec elle, c’est Anahita qui reprend vie.

III

Et Anahita marche dans les pas de la femme comme elle parle dans sa voix. Les voilà toutes deux, la voilà elle, au pied d’une montagne.
Chak-Chak.

La femme sait déjà que la roche va s’ouvrir et que la source est là, au plus profond, qui l’attend. Dans le creux de sa main, l’eau est une caresse, un rire qu’elle porte à ses lèvres. Sa transparence a la couleur du safran qui fleurit à l’automne, l’odeur du jasmin blanc qui enivre les amants, le goût délicat de la rose qui suffit au bonheur. Goutte à goutte, elle dit elle aussi un chant, celui immense de la vie. Ainsi s’apaise le vent, ainsi volent les pollens, ainsi la terre apprend sur des sillons nouveaux le même chant, que tout reprend. Et ce chœur qui entonne, s’étonne de tant de voix. C’est l’oiseau qui s’élance, la feuille qui se déploie, c’est le soleil ami, la corde qui sonne sous le doigt, c'est un baiser, c’est le jeu, la joie.

« Et mon ventre résonne aussi de ce chant-là » dit la femme.

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